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Décaméron

Boccace a trente-cinq ans en 1348 quand, « juste effet de la colère de Dieu », éclate la grande peste qui flagelle l'Italie, brisant les attachements les plus forts (en cette année mourut la Laure de Pétrarque) et détruisant pour un temps tout lien social. Composé dans les années qui suivent, le « Livre des dix journées », premier chef-d'œuvre de la prose littéraire, s'ouvrira sur ce tableau apocalyptique, dont la force grandiose et terrible, n'a rien à envier à la description de la peste d'Athènes chez Thucydide. C'est en effet dans ce contexte que sept jeunes filles courtoises et trois jeunes hommes qui ont conservé leur noblesse d'âme se retirent sur les pentes enchanteresses de Fiesole pour fuir la contagion de Florence, devenue un immense sépulcre, et pendant deux semaines se réunissent à l'ombre des bosquets, partageant le temps entre repas, danses et promenades, et se distrayant chaque jour, à l'exception des jours fériés, par le récit de dix nouvelles, une pour chacun, tantôt sur un sujet libre, tantôt sur un sujet fixé à l'avance pour tous, par la reine ou le roi de la journée. On a employé le terme italien de cornice ou cadre pour désigner cette façon de lier entre eux les cent récits qui suivent au sein d'une nouvelle portante ou d'une « super-nouvelle », modèle souvent imité depuis…
Trois grands thèmes traversent ces histoires ; face à la Fortune, deux forces, dont on s'aperçoit qu'à elles deux elles impliquent l'être tout entier : instinct et raison, - le cœur et l'intelligence, toute-puissance d'Éros et force foudroyante de l'Esprit. Le dénominateur commun à des sujets aussi divers est la toute-puissance d'un instinct où le désir charnel est toujours engagé. Ce qui s'oppose diamétralement à l'éthique chrétienne du Moyen Âge, avec l'absence, dans ce monde gouverné seulement par la nature et la Fortune, de toute préoccupation concernant le salut, c'est avant tout son naturalisme, sa morale sexuelle, sa revendication sans fard d'une liberté des sens. Ajoutons la confiance en cette autre grande force motrice qu'est l'Esprit. Ce poème de l'initiative humaine, de l'industrie, de l'agir humain se jouant dans les limites et avec les sollicitations que lui offrent la Fortune et les autres hommes, dans la trame complexe des rapports en société, est aussi et d'abord le poème de l'Intelligence. « Le Décaméron », salué à juste titre comme le premier chef-d'œuvre de la prose littéraire en langue vulgaire, est en même temps et avant la lettre un modèle brillantissime de « conversation civile » (Stefano Guazzo) ou de « conversation conteuse ».


29/03/2010
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